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Détail du bas d’un piano ancien avec trois pédales en laiton

Deux, trois… ou quatre pédales : ce que le bas du piano révèle sur son époque

Une exploration des fonctions oubliées des pédales dans les pianos anciens

Quand on imagine un piano, on visualise souvent trois pédales alignées sous le clavier, symbole d’un instrument moderne et complet. Pourtant, cette configuration, aujourd’hui familière, n’a rien d’universel ni d’intemporel. Sur les pianos anciens, le nombre et la fonction des pédales varient considérablement, en fonction de l’époque, du style de jeu recherché, ou encore de l’innovation des facteurs.

Pourquoi tant de diversité ? Parce que la pédale est bien plus qu’un simple accessoire mécanique : elle est un reflet des goûts esthétiques, des innovations techniques, et des usages musicaux propres à chaque période de l’histoire du piano.

Deux pédales : la norme au XIXᵉ siècle

Durant une grande partie du XIXᵉ siècle, qu’il s’agisse de pianos droits ou à queue, la configuration la plus fréquente est celle de deux pédales. Chacune répond à une fonction essentielle dans le jeu pianistique.

 

La pédale forte (à droite) est sans doute la plus utilisée. Elle agit sur les étouffoirs en les soulevant, ce qui permet aux cordes de continuer à vibrer même après que les touches ont été relâchées. Ce phénomène crée une résonance prolongée, enrichit l’harmonie et donne au jeu un caractère plus lyrique et soutenu. Elle permet aussi de lier des notes qui ne peuvent pas l’être par le seul toucher.

 

La pédale una corda (à gauche), quant à elle, déplace légèrement l’ensemble du mécanisme de frappe, de façon à ce que les marteaux ne frappent qu’une ou deux cordes au lieu de trois (dans les registres concernés). Résultat : une sonorité plus douce, plus intime, idéale pour les passages délicats ou poétiques. Elle incarne un certain art du jeu expressif, très apprécié dans le répertoire romantique.

Trois pédales : une innovation du XXᵉ siècle

Ce n’est qu’au tournant du XXᵉ siècle qu’apparaît progressivement une troisième pédale, au centre. Il s’agit de la pédale sostenuto, une invention d’origine américaine, d’abord introduite sur les pianos à queue de concert.

 

Son fonctionnement est plus complexe : elle permet de maintenir certaines notes spécifiques (celles qui sont jouées au moment où la pédale est enfoncée), tout en permettant de continuer à jouer les autres notes normalement. C’est une avancée capitale pour certains styles de jeu où la polyphonie demande une grande indépendance des voix, notamment dans les œuvres de Debussy, Ravel ou certains compositeurs du XXᵉ siècle.

 

Cette pédale n’est pas systématiquement présente, notamment sur les pianos droits, où elle est parfois remplacée par une pédale de sourdine (voile de feutre abaissé pour atténuer le son). Mais sur les instruments haut de gamme, notamment de concert, elle devient peu à peu un standard technique.

Et parfois… quatre pédales (ou plus)

Certains pianos anciens réservent des surprises : quatre pédales, voire cinq dans de rares cas. Ces ajouts, souvent méconnus aujourd’hui, témoignent de l’inventivité des facteurs et des attentes très variées des musiciens de leur temps.

 

Parmi les fonctions observées :

  • Une sourdine activée par pédale, qui fait descendre un voile de feutre entre les marteaux et les cordes. Très utilisée dans un cadre domestique ou pédagogique, elle permettait de jouer à faible volume, notamment en appartement ou en soirée.
  • Des effets spéciaux : certains pianos étaient dotés de pédales produisant des timbres particuliers (imitation de harpe, célesta, ou cloches). Ces effets étaient parfois intégrés pour divertir, séduire les amateurs ou s’adapter à des pièces de salon spécifiques.
  • Des systèmes de transposition mécaniques : en modifiant le positionnement du clavier par rapport aux cordes, ces dispositifs permettaient de jouer dans une tonalité différente sans changer les doigtés. Utile pour accompagner des chanteurs, par exemple.

Un miroir de l’époque

Chaque pédale supplémentaire est une empreinte du temps, révélatrice des besoins musicaux, des lieux de jeu (salon, concert, étude), ou des expérimentations techniques. Comprendre ces fonctions, c’est lire l’histoire du piano par le bas, et mieux respecter l’instrument lors d’une restauration.


Conserver, restaurer ou simplement reconnaître ces pédales oubliées, c’est aussi préserver la richesse expressive d’un répertoire, et honorer l’inventivité de ceux qui ont façonné l’évolution du piano.

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